Voreppe

Marguerite Huré et les vitraux du Petit Séminaire de Voreppe

Marguerite Huré, maître-verrier français, est considérée comme l'introductrice de l'abstraction dans le domaine du vitrail religieux. Elle étudie auprès du peintre-verrier Émile Ader, puis fonde son propre atelier en 1920. Elle collabore avec des artistes tels que Maurice Denis, George Desvallières, Marie-Alain Couturier, Valentine Reyre,  Jean Bazaine et de nombreux architectes parmi lesquels Paul Tournon, Pierre Pouradier-Duteil, Maurice Novarina et Auguste Perret. 

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Celui-ci l’a fait intervenir sur l'Église Notre-Dame du Raincy (1923), la chapelle de l’école de la Colombière à Chalon-sur-Saône (1929) et sur l'Église Saint-Joseph du Havre (entre 1952 et 1957). Fière de son indépendance dans un milieu plutôt masculin, elle est qualifiée par certains de «féministe avant l'heure». Elle fume la pipe, ce qui lui vaut le surnom de «jeune fille à la pipe».

Entre 1931 et 1933, à la chapelle du séminaire de Voreppe, Marguerite Huré pousse encore plus loin ses recherches. Elle y interprète le thème du sacerdoce, depuis l’appel à la vocation et le don de soi jusqu’au retour au père, par le seul jeu des couleurs et des lignes géométriques, sans parole, comme en musique, en donnant une signification précise à chaque verrière.

 

Le fenestrage
L’architecte, Pierre Pouradier-Duteil dessine de nombreux croquis pour les différents claustras utilisés à Voreppe. Ils sont préfabriqués, en béton armé, à la demande de l’architecte.

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Deux entreprises grenobloises se partagent le marché : Blanc Frères & Cie pour ceux de la chapelle et Cuynat pour ceux des vestibules et escaliers latéraux de la chapelle.

Le fenestrage de la chapelle comporte six baies de 13 m x 2,60 m pour la nef
(3 à droite, 3 à gauche), constituées de 20 carrés de 1,255 X 1,255 m  (deux rangées de 10) et 5 baies de 11 m x 2,60 m pour le chœur, de 18 carrés et deux demi-carrés.  En tout 11 baies.

Interprétation de chaque baie
Le texte ci-dessous a sans doute été écrit par Marguerite Huré, pour un article à paraître dans le journal « L’Artisan Liturgique » en 1938.  Cet article n’est pas paru tel quel mais sous une forme extrêmement condensée.

Laissons-nous guider :
 1 - Un édifice religieux, en outre de sa destination mystique, reçoit, de par l’inspiration de l’architecte, des caractères spéciaux qui trouvent leur raison d’être dans la dévotion à laquelle l’édifice est consacré.

 De plus, il doit être tenu compte du pays auquel il est destiné et de la classe sociale des êtres plus spécialement appelés à le fréquenter ; enfin, il doit s’harmoniser avec le paysage.

 De tout le travail de concentration que l’architecte s’impose dans la vision préparatoire de son œuvre résultera l’expression propre du sanctuaire, son élégance extérieure et son âme intérieure.

 Cette impression sera donnée par les grandes lignes constructives, mais le facteur le plus émouvant, en ce qui concerne l’impression interne, est fournie par la lumière et les couleurs.

 Cette lumière, ces couleurs, c’est le vitrail, partie intégrante de l’édifice, qui les dispense. C’est lui l’animateur de l’église, sa joie, sa floraison.

 2 -  Quelle intention mystique a-ton voulu réaliser avec la chapelle de Voreppe ?.. On a cherché à entourer et soutenir de jeunes vocations. Par son élancement, son rythme, sa délicatesse et par sa place dans le paysage et au centre du Séminaire, elle attire, aimante. Elle doit ensuite aider et même susciter, la méditation, le sacrifice, l’offrande, le vœu.

 Ses parois ajourées font une large part au magique ornement qu’est le vitrail. Il fallait que ces verrières expriment la vie du Prêtre, et en imposent la pensée, mystiquement, aux jeunes gens. C’est en effet ce thème que développe l’ensemble de ces vitraux.

 Dans le côté est, l’enfance et la jeunesse. Au chœur, la vie active et la vocation. Dans le côté Ouest, les œuvres de la maturité.

 Mais comment arriver à exprimer toutes ces émotions par de simples couleurs et des lignes, puisque l’architecture employée ici prohibe l’emploi du sujet à personnages ?

 3 – Les musiciens de tous les temps ont-ils eu besoin de paroles pour traduire leur pensée, et les sentiments suscités par telle symphonie de Beethoven ne sont-ils pas d’une clarté absolue ? Des couleurs et des lignes auraient-elles moins d’expression ?

 D’ailleurs, aux magnifiques baies de nos cathédrales gothiques, distingue-t-on les sujets ? Non ! La couleur, la perfection de la composition a suffi aux Maîtres du XIIIème, pleins de foi et d’amour ! ... 

 Pourquoi ne pas tenter, à leur école, ce qu’ils ont réussi, mais, forts de l’expérience psychique acquise, faire exprimer, en plein discernement, certains états d’esprit, certaines voix de l’âme ?

 Déjà ceux du XIIème savaient le pouvoir évocateur des lignes : l’élégance, la force de la verticale (les colonnes du temple ; le soldat au garde à vous ; la Vierge au pied de la croix) ; - la sérénité, la stabilité des horizontales ; (le lac, le désert) ; - la fantaisie, la grâce des courbes ; respect, course, chute, des lignes plus ou moins inclinées ; élévation des ascendantes, etc.. Ce pouvoir évocateur, déjà, que de possibilités il offre !

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Maquette de deux verrières
(Fonds Huré, musée des années 30 - Boulogne-Billancourt)

 

 Pour les couleurs l’on ne pouvait demander à la science liturgique seule toutes les directives. Il faut à l’art plastique des sensations plus simplement humaines, agissant sur l’esprit par la voie de l’instinct.

 Or, la vielle expérience populaire a adopté : la suavité du blanc ; la tristesse du noir ; la mélancolie du gris et des teintes neutres ; l’impression de colère et de passion donné par le rouge ; la gloire des jaunes d’or. Le bleu est mystique ; le vert, reposant ou vénéneux. Tout cela est si vrai que les animaux y sont sensibles. En puissance dans la palette de l’artiste sont toutes les joies, tous les désirs, toutes les douleurs.

4 – Il ne faut pas chercher, dans ces vitraux, des forces, et, s’obstinant sur des symboles, revendiquer une signification visuelle. L’artiste n’a pas désiré que son œuvre absorbe la pensée, comme le ferait une image, ni qu’elle attire ou qu’elle retienne l’attention. Ces verrières doivent participer à la prière, comme l’orgue et l’encens. En accord avec la lumière du Bon Dieu, chaque heure fera chanter avec sa vibration particulière le symbole de chaque baie. Les teintes des verrières doivent toujours être en accord avec l’intensité des rayons solaires qu’elles recevront de par leur orientation.

 Unissant l’image de la vie à celle du jour, l’artiste a développé son thème en suivant la rose des vents.

 Les purs rayons de l’aurore viendront éclairer la fenêtre aux tons délicats, chargée d’évoquer l’enfance du futur prêtre.

 Le soleil dans toute sa force accompagnera les œuvres de la maturité.

 La gloire du couchant s’unit au couronnement final de l’âme sacerdotale : le retour au Père.

5 – Mais comment, par quels moyens techniques l’artiste est-il parvenu à s’exprimer ?

Examinons d’abord les conditions imposées par l’architecture : le fenestrage comprend, pour la nef, six baies de 13m X 2,60m, et pour le chœur, 5 baies de 11m X 2,60m, en tout, pour l’ensemble, onze baies, c'est-à-dire une vaste surface.

 Chacune de ces baies est rythmée par une admirable ossature en béton : les claustras, dont le dessin, simple et très composé, forme une vaste, robuste et légère dentelle régulière, dans l’ordre de laquelle peut se jouer l’infinie variation des parties colorées. Il y a 1160 pièces de verre par fenêtre.

 La composition générale présente comme premier principe, que la lumière sera partout également répartie, les couleurs les plus nourries disposées au Sud, là où les rayons du soleil seront les plus intenses, et les plus propres à faire jouer les tons chauds.

 La disposition des teintes fait se conjuguer face à face les bleus des 1ère et 11ème baies, les roses des 2ème et 10ème baies, les verts des 3ème et 9ème baies. Chaque baie a une base et un chef de tons solides, ainsi qu’un cœur lumineux, mais dont la disposition change de l’une à l’autre verrière.

6 – Ces principes généraux posés, pour établir le sens de l’œuvre, passons au détail et à l’expression du sujet enclos dans chaque fenêtre. Et voici le développement du thème qui est, nous l’avons dit « LA VIE DU PRÊTRE ».

 1ère Baie
Elle est plutôt un accord qui confond en un seul son la pureté de l’enfant prédestiné, traduite par les bleus très frais employés surtout au XIIème siècle, oubliés dès le XIVème siècle. L’adoration instinctive exprimée par les dorés clairs. L’ambiance de cette enfance choisie dans la chaleur grave de la famille est évoquée par des tons bruns et pourpres, peu abondants, mais servant de base et de soutien à toute la composition, à toute cette vie en éclosion. Les beautés de la nature montagnarde trouvent une discrète évocation dans les gris verts un peu sévères, et les bleus profonds comme les reflets des hauts glaciers ; des bleus célestes encadrent le haut de la baie, ainsi que les ciels vigoureux du pays dauphinois. Tandis que les blancs du cœur de la composition, comme un vol de colombes, accentuent la fraiche pureté de l’accord total.

 

2ème Baie
Dans la seconde baie, le thème traité est  « l’appel et le don ». Les roses dominent ; le rose, couleur de l’Amour parfait, d’après le Moyen-âge, donne bien la sensation de toute l’activité de la vie délivrée du lourd fardeau du retour sur soi-même. C’est la chaleur généreuse d’où la passion est exclue : les lignes horizontales, qui régissent plus de la moitié inférieure de la fenêtre, accentuent cette sensation de paix chaleureuse. Le ton de rose au-delà, n’est plus que le chant fidèle, encore épuré de tâches blanches vers le cœur ; mais dominé, envahi, par les vibrants croisillons jaunes, étreinte céleste du Saint-Esprit, Amour et Lumière et Rayonnement… Quelques utiles tons bleus achèvent l’harmonie, et versent sur l’ensemble un mystique rappel céleste.

 

3ème baie
Tentations ; premières épreuves. Il y a, dans cette verrière, la joie jeune d‘un être heureux de lutter pour son amour. Le danger des tentations est évoqué par les verts, profonds, sourds, tenaces, dissimulés; mais plus nombreux à la base de la composition. Neuf tons de vert allant jusqu’au ton aigu, marquent la multiplicité, et parfois, l’acuité du péril. La menace est par toute la baie, mais partout elle est atténuée, secourue , par la vision céleste du bleu qui entoure l’œuvre et y dessine, vers le centre, deux lignes ascendantes d’élévation et d’espoir, tandis que les jaunes verdâtres sont un rappel du secours permanent de l’Esprit-Saint auquel répondent les roses tendres de l’amour parfait et la suave douceur des tons orangés, dans leur mouvements incurvés et enveloppants.

La rassurante clarté du cœur est pleine d’espoir.

 

4ème baie (chœur)
La première messe. Ici la voix chaleureuse des rouges chamarrés (ceux des XIIème et début du XIIIème) escortent d’un chant très net la floraison des verts printaniers, parure de fête ! Tandis que le cœur, doré comme un ostensoir, entoure de son rayonnement le centre blanc. Ce blanc se répand mystiquement parmi les petites touches de vert froid et pur, vert de gemmes précieuses et rares. Toute la subtilité de ce cœur, toute sa préciosité voulue, sans charge de teintes trop riches, tend à faire partager l’émotion adorante du jeune prêtre devant le mystère de la transsubstantiation Ce cœur lumineux est serti de bleus et de verts profonds qui l’isolent dans le vide volontaire d’adhésion à la Foi, réchauffé des mêmes rouges chaleureux prédominant à la base.

 

5ème baie
Les œuvres actives. Cette activité, précise, est déterminée par le parti net d’encadrements carrés. Cette forme carrée, lisible, a quelque chose de réaliste qui caractérise la tendance humaine de l’activité déployée ; et le ton rouge carminé et non plus ardent ni tendre, rappelle l’amour réfléchi que demande une telle activité. Ces rouges se retrouvent, par une arabesque simple, entourant le cœur. Les teintes de jeunesse printanière se répètent en ce cœur rose et jaune léger. Ces teintes fraîches de la nature en éclosion, réjouissent presque toutes les verrières (excepté les deux dernières) et sont dédiées à l’adolescence de ceux pour qui ces vitraux sont peints.

 

6ème baie (centrale)
Le renouvellement par l’oraison. La plus éclatante de toutes (514 pièces de rouges divers) faite pour s’associer à la gloire du soleil de midi. Comme partout, quelques tons bleus mettent leur note mystique. Ils prédominent à la base, comme à la source ; tandis que la composition, amène, vers le sommet unique, toutes les lignes vraiment symboliques, pénétrant de l’extérieur, en ascension, par l’intérieur, vers ce cœur lumineux qui, irrésistiblement, les appelle, surmonté d’une croix légèrement orangée. Malgré sa chaleur, quelques mouvements horizontaux et la discipline des claustras établit dans cette œuvre la paix inséparable de tout mouvement religieux.

 

7ème baie
Les Missions étrangères. Les motifs différents y ont un jeu fréquemment répété, mais l’ensemble des tons éveille bien l’idée d’atmosphère lointaine, par son bleu, très différent de ceux employés ailleurs, côtoyant des verts inconnus de notre ciel et de nos terres ; les végétations et les ciels des autres continents sont évoqués. Les gris (poussière des pays ardents ?... cendre des sacrifices païens ?...) Ces gris servent de champ d’action aux lumières rougeoyantes, aux flambées des holocaustes souvent sanglants des missionnaires.

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8ème baie
Les Epreuves de la maturité. Cette verrière est la plus variée de toutes dans ses nuances. Parfois, on n’y a employé que deux pièces d’un même ton (sur 1160 que comporte la baie). Chaque double élément reçoit un coloris différent, pour mieux exprimer l’infinie diversité des épreuves de cette époque de la vie. Ici paraissent les violets de la pénitence et des bleus pourprés. Toute cette diversité sombre et tourmentée rend plus éclatant et plus pur le cœur blanc, varié de bleu de mer pâle, fait d’un motif en forme de double nœud, qui évoque invinciblement le geste de bras croisés sur la poitrine, comme pour y maintenir avec force le trésor de la foi.

 

9ème baie
Œuvres humbles, sans réussite visible. Le long cheminement à travers la plus grande partie de cette baie des lignes en croix vert doré et blanc, exprime l’effort constant de la volonté sur la sensibilité, dans l’œuvre établie et poursuivie fermement, petites croix après petites croix, malgré l’insuccès apparent, l’indifférence, la solitude. L’effort vital, profond et durable des rouges de la base se dissémine dans le reste de la baie et réconforte l’amertume des verts, cependant semés du rappel céleste de quelques bleus et de rares taches roses. Puis vers le sommet le cœur reçoit l’adoucissement des roses pourprés, l’allégeance de quelques ors lumineux, gloire secrète et intime sans éclat.

Dans aucune des verrières, l’évocation du ciel n’a lieu par le moyen de bleus plus purs et plus vifs.

 

10ème baie
Le dépouillement. Ici, le cœur, très allongé, comme un cocon où se tisseraient des lumières, est un foyer, non pas rayonnant, mais envahissant. Ses lignes et sa blancheur victorieuse sont expansives. Ce sont les lignes et les teintes du dépouillement réalisé ; elles pénètrent et se confondent avec le rose qui fut, pendant toute la vie, la joie de l’Amour parfait. Des bruns dorés traversent toute la composition ; ils sont les fruits sages de l’automne : l’expérience acquise. Mais l’importante base et l’encadrement jusqu’à l’extrême sommet comportent une large part de violets, rosis par le voisinage du vert de mer et du bleu lilas : pénitences, prières, l’âme s’épure et de recueille, médite sur les dons reçus, vers la lumière.

 

11ème baie
Le retour au Père. Dans les bleus crépusculaires, fusant de la base, une longue verticale dorée, légèrement rose, se divise et se multiplie en obliques, comme des bras tendus vers le sommet, en un irrésistible appel. L’âme délivrée, quittant la nuit, monte droit vers le Père, dans la dalmatique des violets et des verts tout imbibés de la lumière intime de l’Amour Divin.

7 – Voilà donc, résumée, la pensée qui a dirigé la conception de ces verrières. Encore une fois, il ne faut pas s’attacher au sens précis indiqué dans ces pages. De même que chaque individu trouve devant un paysage une émotion qui lui est propre ; de même qu’en écoutant une symphonie, chaque être frémit selon un mode différent et s’il est vrai que chaque âme prie, à chaque heure de sa vie, selon un mouvement intérieur spécial, chacun, selon son esprit et selon son heure, doit trouver dans ces vitraux l’ami de ses recherches, l’aide reposante de ses pensées et de ses désirs.

 Néanmoins, deux sensations ont été souhaitées : celle de l’Amour parfait suscitée par les roses semés à peu près partout ; et, plus encore, celle de la jeunesse impérissable de l’âme, donnée par le courageux petit jaune verdâtre, le jaune des bourgeons printaniers. Cette teinte règne en plus ou moins grande quantité dans toutes le verrières, excepté dans les deux ultimes : le Dépouillement et le Retour au Père. Cette dernière baie faite pour unir, lorsque vient la fin du jour, la teinte de ses verres à celle de l’ombre portée de la Pointe de l’Echaillon.

 

Ci-dessous, le travail préparatoire à la gouache
que Marguerite Huré a effectué pour les vitraux du Séminaire de Voreppe.
Copyright Musée de la ville de Boulogne-Billancourt. 

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